Face à l’évident mouvement d’humanisation des robots dont
l’anthropomorphisme continue de déranger, il nous faut remarquer les questions
que cela pose de manière générale sur notre propre humanité. La fascination des
humains envers les robots et la place qu’ils occupent dans l’imaginaire
prouvent que la technique demeure une source de réflexion sur les capacités des
Hommes et la spécificité humaine.
Clémentine Malgras, auteur de l’article sur la série "Real
Humans" sur le site FastNCurious rappelle la volonté qui se cache derrière la
création de ces robots imitant parfaitement les humains : ‘le sous-titre de la
série, « Qu’avons-nous encore fabriqué ? » nous rappelle l’idée d’une science
babélienne qui s’acharne à dépasser le divin. Ce thème de prédilection se
retrouve dans la pensée de Mary Shelley avec Frankenstein ou le Prométhée
moderne, où elle reproduit entre l’homme et sa machine l’idée du Créateur. Ce
rapport conflictuel nourrit toute une mythologie parfaitement distillée dans la
série, à l’image de la réponse d’un hubot sur la question de son origine : "Nous venons de vous, de votre imagination" ’(1). L’Homme cherche donc à reproduire
par la science ce que le divin (ou la nature) fait quotidiennement. Il tente de
recréer du sacré par la science, celle-là même qui a réduit au statut de mythes
les croyances des Hommes sur le fonctionnement du monde. Après donc avoir
prouvé que tout pouvait s’expliquer scientifiquement, l’Homme cherche à reproduire
ce système naturel grâce à ses propres outils.
Ce qui est à mettre en parallèle avec l’opinion de Nicolas
Gilli concernant le film A.I Intelligence Artificielle, selon lui ‘Non
seulement l'homme cherche à créer un être à son image, mais il cherche
également à l'inclure dans le cycle naturel en quelque sorte. Ces êtres
robotiques, qu'ils soient dessinés comme Tima ou qu'ils prennent une apparence
bien humaine avec le visage de Haley Joel Osment, marquent bien l'évolution
ultime de l'humanité chez les robots au cinéma, car ils en sont les enfants’. (2)
Hubots ouvriers dans 'Real Humans' |
Cette capacité humaine à créer des robots qui nous ressemblent
de plus en plus questionne notre propre humanité. Selon Clémentine Malgras,
‘Real Humans est donc un excellent hybride des films de science-fiction, tel
qu’Intelligence Artificielle de Spielberg. Il s’agit de reproduire par la
fiction les angoisses et les travers de la société. Derrière le masque grossier
des hubots, se cache la sempiternelle interrogation : l’Homme est-il bon ?’ En
tant que Créateur l’Homme tend à créer le robot à son image. Dès lors, si le
robot développe une conscience de son état et des comportements humains, il
sera un véritable miroir de l’Homme, il agira à l’image de ceux qui l’ont créé
et sera également représentatif du comportement humain. Mais l’être humain est
unique, traversé par ce qu’on nomme ‘l’humanité’ et que l’on pourrait définir
par ce que nous appelons communément ‘le propre de l’homme’, c’est-à-dire un
certaine nombre de particularités propres à l’Homme (physiques tout d’abord,
mais également des aptitudes telles que le langage, la conscience de soi, la
capacité à l’abstraction,…) qui le différencie des autres espèces animales. En
plaçant ainsi le robot dans le cycle naturel de la création, l’angoisse d’être
un jour remplacé par les robots fait jour et est liée au fait que la vie
humaine est éphémère. Le robot ultime sera un être humain parfait, reproduisant
tous les comportements humains tout en pouvant vivre éternellement. Un être
plus parfait que l’Homme donne envie de remplacer l’Homme par le robot, au-delà
du travail physique où la robotique a déjà pris une place considérable c’est
désormais dans les relations humaines que le robot prend place. Certains
humains assurent en effet vivre des relations amoureuses avec des robots comme
le prouve ce reportage (3).
E. Grimaud rappelle toutefois qu’en Occident recréer un corps humain dans son
intégralité est tabou, à l’inverse des roboticiens japonais qui ‘sont persuadés
que la ressemblance humaine facilite les interactions sociales. […] D’ailleurs,
au Japon, le marché des doubles [vivants] existe déjà : on peut louer par
exemple un frère ou une sœur pour un mariage. Pour promouvoir son Geminoid,
Ishiguro prédit que bientôt on aura tous un double, qu’on pourrait envoyer
faire des conférences à sa place’. Largement acceptés dans la culture
japonaise, les robots humanoïdes véritables miroirs des Hommes semblent donc
être le nouveau défi que la science s’est donnée et la société si elle ne fait
pas barrage risque de devoir s’habituer à côtoyer des doubles robotisés.
A l'image des réflexions soulevées par la série 'Real Humans', on comprend que la cohabitation avec des robots humanoïdes n'est pas prête de s'effectuer en douceur. Si dans la série la fiction prend largement le pas en imaginant des robots dotés de conscience, capables d'aimer et se révolter, la simple réalité de robots nous imitant à la perfection est suffisamment troublante pour pré-sentir des réticences de taille quant à l'acceptation de ces machines dans nos sociétés.
(1) : http://fastncurious.fr/irreverences/real-humans.html
(2) : http://lci.tf1.fr/cinema/news/eva-l-evolution-de-l-humanite-des-robots-dans-le-cinema-populaire-7076152.html
(3) : http://www.vincentabry.com/en-couple-avec-une-poupee-robot-bientot-une-realite-15345
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